lundi 18 juin 2012

Les Fables de La Fontaine
(2) La cigale et la fourmi

Le précédent billet s'étant limité à quelques considérations générales,  j'adopterai ici une approche plus concrète. Pour ce faire je commencerai par donner le texte de la première fable de la Fontaine dans l'ordre de parution (Livre I,  Fable  I ) qui n'est autre que "la Cigale et la Fourmi".
Elle est fort connue, on la retient facilement, l'histoire contée est amusante, et les vers très agréables.
Malgré tout, certaines personnes ont des critiques à faire. Comme je l'ai écrit dans la partie (1) Généralités, je ne partage pas leur point de vue qui me semble excessif. A titre d'exemple, je reproduis ci-dessous  l'analyse de C.Rouzé.
Mais je crois surtout  que le sort de la cigale en a ému plus d'un.  Quoi de plus louable que de  tenter de réparer le mauvais traitement qu'elle a subi? Ce n'est pas critiquer l'auteur que de le pasticher avec cette bonne intention. Suivront donc deux textes qui prennent ouvertement le parti de notre pauvre cigale: l'Abeille et la Fourmi et la Vengeance de la Cigale.


La Cigale et la Fourmi

La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
 Se trouva fort dépourvue
 Quand la bise fut venue :
   Pas un seul petit morceau
         De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine       
  Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter     
       Quelque grain pour subsister
   Jusqu'à la saison nouvelle.
    «Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,   
 Intérêt et principal. »        
         La Fourmi n'est pas prêteuse :
     C'est là son moindre défaut.
                   « Que faisiez-vous au temps chaud ?
     Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
      Je chantais, ne vous déplaise.
               - Vous chantiez ? j'en suis fort aise :
       Eh bien! dansez maintenant. »


L'analyse littéraire de C. Rouzé
(Analyses littéraires de fables de La Fontaine ,  éd. Eugène Belin).

Cette fable est la première du livre premier : ce qui ne veut pas dire qu'elle soit la meilleure. Cependant, en vertu même du rang qu'elle occupe, elle est presque toujours la première que l'on fait apprendre aux petits enfants : comme s'il était nécessaire de prêcher l'égoïsme à un âge qui se montre fréquemment dur et cruel, parce que, dans son inexpérience, il ne sait pas encore ce que c'est que souffrir!
« Eh bien! dansez maintenant! » Voilà le trait cruel que la fourmi lance à la pauvre cigale, malheureuse par sa faute, mais malheureuse néanmoins.
Pères et mères qui faites apprendre La Cigale et la Fourmi à vos enfants, soyez sûrs que ce dernier vers est celui qu'ils retiendront le mieux et qu'ils appliqueront le plus souvent, si vous ne leur enseignez pas tout d'abord qu'il n'est jamais permis de traiter durement les malheureux, quelque coupables qu'ils soient, et que le meilleur usage qu'un homme puisse faire de ses économies, est d'en consacrer une large part au soulagement de ceux qui souffrent.
La morale de cette première fable ne court pas seulement le risque d'être mal interprétée: la fable elle-même laisse aussi à désirer sous le rapport de la clarté, comme nous le montrerons dans l'analyse suivante.

 La cigale ayant chanté
  Tout l'été... 
Ce vers semble bien court pour exprimer une aussi longue période. Mais celui qui récite cette fable, peut corriger ce petit défaut en s'arrêtant sur le mot tout qui commence le vers.

  Se trouva fort dépourvue,
  c'est-à-dire dans une grande disette;  — lisez : fort dépourvue de vivres, d'aliments.
 
 Quand la bise fut venue :
La bise est un vent très rigoureux du nord-est, qui ne souffle guère que dans la mauvaise saison : bise est donc synonyme d'hiver.
 
  Pas un seul petit morceau
         De mouche ou de vermisseau !
En effet quand la bise souffle, on ne voit plus de mouches, et les vermisseaux sont cachés dans la terre. Il aurait fallu faire des provisions pendant l'été; la cigale n'y a point songé; comme tous les paresseux, elle ne pensait qu'à s'amuser, à chanter. Pressée par le besoin, au commencement de l'hiver,
 
Elle alla crier famine     
    Chez la fourmi, sa voisine,
Pauvre cigale! Elle meurt de faim, elle en crie. De là cette expression énergique qui est devenue populaire : crier famine,
(Note: dans le nord de la France, on confond généralement avec la cigale ces petites sauterelles qui sont en effet les voisines des fourmis. La cigale  ressemble à une grosse mouche, mais elle est de beaucoup plus grandes dimensions, et elle se tient sur les arbres. Les enfants la prennent dans le midi pour s'en faire un jouet.)
 
La priant de lui prêter       
     Quelque grain pour subsister 
 Jusqu'à la saison nouvelle...
La saison nouvelle, c'est-à-dire le printemps. Dans quelques pays du midi, on appelle cette saison le renouveau ; et, en effet, tout alors se renouvelle .
(Note: voyez une belle peinture du printemps dans la fable intitulée: L'Alouette et ses petits, liv. IV, fab. 22.)
 
 Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,    
  Intérêt et principal.
                  
Oût , ou août, contraction d'Augustum, huitième mois de l'année, consacré à l'empereur Auguste.
(Note:  éliminez la finale sourde ( um ) et la  syllabe atone ( ug ), puis remplacez l's par un accent circonflexe, et vous aurez août. )
Foi d'animal, c'est-à-dire, au nom de la confiance que l'on doit accorder à la parole d'un animal, ou, pour résumer, aussi vrai que je suis un animal !
Intérêt est ce qu'une somme rapporte; le principal est la somme prêtée.
 
 La fourmi n'est pas prêteuse :    
  C'est là son moindre défaut.        
Ce vers est souvent mal interprété. Il ne veut pas dire que ce soit là le plus petit défaut de la fourmi, comme on le comprend ordinairement, mais bien que le défaut d'être prêteuse (si c'est un défaut), est celui que la fourmi a le moins. Traduction familière : si elle a un défaut, ce n'est certes pas celui-là. Le vers de la Fontaine est donc obscur, puisqu'il est généralement mal compris.
 
 Que faisiez-vous au temps chaud?
  Dit-elle à cette emprunteuse.           
Emprunteuse forme, avec prêteuse, une rime trop facile.

Nuit et jour à tout venant.            
   Je chantais, ne vous déplaise,              
A tout venant, c'est-à dire, pour le premier venu, quel que fût celui qui pouvait m'entendre. Cette confession naïve, qui devait désarmer la fourmi, ne lui arrache que cette dure réponse, où le froid égoïsme se joint à la plus cruelle ironie, puisqu'elle s'adresse à une indigente :
 
Vous chantiez, j'en suis fort aise;  
Eh bien, dansez maintenant !          
Sans doute, il est fort bon de dire aux enfants que, s'ils sont paresseux comme la cigale, ils s'exposeront à rencontrer, dans le malheur, beaucoup de gens cruels comme la fourmi; — mais il faut le leur dire, et ne pas leur laisser, comme la Fontaine, le soin périlleux de tirer la conclusion, et d'accommoder la morale de cette fable avec leurs dispositions naturelles, qui ont souvent besoin d'être dirigées, sinon corrigées.


L'Abeille et la Fourmi
     Laurent de Jussieu,  Fables et Contes en vers, 1829
     Livre II, Fable I

A jeun, le corps tout transi,
Et pour cause,
Un jour d’hiver la fourmi,
Près d’une ruche bien close,
Rôdait, pleine de souci.
Une abeille vigilante
L’aperçoit et se présente.
« Que viens-tu chercher ici ? »
Lui dit-elle. – « Hélas ! ma chère, »
Répond la pauvre fourmi,
« Ne soyez pas en colère :
Le faisan, mon ennemi,
A détruit ma fourmilière ;
Mon magasin est tari ;
Tous mes parents ont péri
De faim, de froid, de misère.
J’allais succomber aussi,
Quand du palais que voici
L’aspect m’a donné courage.
Je le savais bien garni
De ce bon miel, votre ouvrage ;
J’ai fait effort, j’ai fini
Par arriver sans dommage.
Oh ! me suis-je dit, ma soeur
Est fille laborieuse ;
Elle est riche et généreuse ;
Elle plaindra mon malheur.
Oui, tout mon espoir repose
Dans la bonté de son coeur.
Je demande peu de chose ;
Mais j’ai faim, j’ai froid, ma soeur !
– Oh ! oh ! répondit l’abeille,
Vous discourez à merveille.
Mais vers la fin de l’été,
La cigale m’a conté
Que vous aviez rejeté
Une demande pareille.
– Quoi ! vous savez ? – Mon Dieu, oui,
La cigale est mon amie.
Que feriez-vous, je vous prie,
Si, comme vous, aujourd’hui
J’étais insensible et fière ;
Si j’allais vous inviter
A promener ou chanter ?
Mais rassurez-vous, ma chère ;
Entrez, mangez à loisir,
Usez-en comme du vôtre,
Et surtout, pour l’avenir,
Apprenez à compatir
A la misère d’une autre. »


La Vengeance de la Cigale
     Albert Vacher
     (tiré de : Brachet et Dussouchet, Grammaire française,
                  Cours Préparatoire, Hachette,1897.  Page 73.)
     C'est une version  abrégée de la chanson de Vacher (ainsi adaptée aux jeunes enfants,  j'ai  pensé qu'elle pourrait leur plaîre)  mais je l'ai fait suivre du texte complet.

Quand la Fourmi, sans pitié,
Gouailleuse, eut congédié
           La Cigale,
Refusant de lui prêter
Un seul grain pour arrêter
           Sa fringale,

La chanteuse en se traînant,
Sous la pluie et par le vent,
           Demi-morte,
Espérant meilleur accueil,
Parvint à gagner le seuil
           D'une porte.

Le grillon de la maison
Entendit son oraison :
       « Viens, Cigale,
Réchauffer ton corps transi;
Entre au foyer, c'est ici
        Qu'on régale.»

Notre grillon tout l'hiver,
Dans l'âtre mit le couvert
        De l'artiste...
Les artistes ont bon coeur,
Sans compter, dans le malheur,
        On s'assiste.

L'été de retour, aux champs,
Vite elle reprit ses chants,
         Bien joyeuse.
Elle y trouva la Fourmi
Gémissant, morte à demi,
          Malheureuse.

La Cigale ne dit mot;
Mais organise aussitôt,
         Brave bête !
Un concert de charité,
Et près de chaque invité
         Fait la quête.

Qui voudrait la secourir ?
L'égoïste allait mourir
         Bien seulette;
Quand la Cigale accourant
Porte à l'insecte expirant
         Sa recette :

« Fourmi, pour toi j'ai chanté,
Prends ce que j'ai récolté;
          Bois et mange.
Apprends de quelle façon ,
Au pays de la chanson ,
           On se venge ! »


La Vengeance de la Cigale
 Albert Vacher,   dans  Le Caveau, 59e volume, 1893

                                   Vous chantiez , j'en suis fort aise :
                                               Eh bien ! dansez maintenant !...
                                                                          La Fontaine

Quand la Fourmi, sans pitié,
Gouailleuse, eut congédié
           La Cigale,
Refusant de lui prêter
Un seul grain pour arrêter
           Sa fringale,

La chanteuse en se traînant,
Sous la pluie et par le vent,
           Demi-morte,
Espérant meilleur accueil,
Parvint à gagner le seuil
           D'une porte.

Le grillon de la maison
Entendit son oraison :
       « Viens, Cigale,
Réchauffer ton corps transi;
Entre au foyer, c'est ici
        Qu'on régale.»

Notre grillon tout l'hiver,
Dans l'âtre mit le couvert
        De l'artiste...
Les artistes ont bon coeur,
Sans compter, dans le malheur,
        On s'assiste.

La chaleur venue, aux champs,
Vite, elle reprit ses chants,
         La divette.
Un clair matin qu'elle allait
Egrenant son chapelet,
          Et seulette,

Sur le rebord d'un fossé,
Un cri plaintif est poussé.
           Attendrie,
Elle aperçoit sa Fourmi
Flasque, écrasée à demi,
           Qui la prie.

« Vois, dit la Fourmi, l'homme a,
De sa pioche, détruit ma
          Fourmilière.
De mes trésors amassés,
Plus rien!... mes membres brisés !
         La misère !...

La Cigale ne dit mot;
Elle convoque aussitôt,
         Chaque insecte
Au concert de charité,
Et fait à chaque invité
         La collecte.

Qui voudrait la secourir ?
La Fourmi, seule, à mourir
       Elle est prête;
Quand la Cigale, accourant,
Porte à l'insecte expirant
         Sa recette :

« Fourmi, pour toi j'ai chanté,
Prends ce que j'ai récolté;
          Bois et mange.
Apprends de quelle façon ,
Au pays de la chanson ,
           On se venge ! »
 

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H.A.